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POUR UNE PEINTURE EXISTENTIELLE

ANNE DAGBERT 1992 (a.i.c.a)

 Je me demande souvent pourquoi un jeune artiste choisit aujourd'hui de s'adonner à une peinture résolument figurative, en dehors des courants consensuels et des stratégies institutionnelles. S'il le fait, s'entend, non par ignorance et naïveté, mais en toute connaissance de cause et ayant réfléchi sur le sens des oeuvres du passé et sur le déroulement de l'histoire de l'art. Il choisit en quelque sorte de "sortir" de la voie abstraite d'une part et de l'impasse conceptuelle d'autre part. Hardiment, il ne se maintient pas, comme tant d'autres, entre abstraction et figuration et prend franchement le parti de représenter un sujet, car celui- ci est encore le meilleur moyen d'exprimer pleinement une angoisse existentielle. Le fait est assez rare pour qu'il soit remarqué.

Remi Bourquin avec les animaux

 
C'est le cas de Rėmi Bourquin qui transcrit dans sa peinture, que l'on pourrait appeler "classique" sans craindre qu'elle soit taxée de conservatisme, un malaise de civilisation, sujet d'un intérêt majeur, tout le monde en conviendra. Son talent de peintre lui permet effectivement d'utiliser la figuration de sujets prétextes - peu d'artistes sont capables actuellement d'employer les ressources traditionnelles de représentativité de la peinture pour traduire sa nostalgie d'un monde qui faisait sens, nostalgie qui est la nôtre, la vôtre, sans que nous osions l'avouer.

 

Notre monde a perdu ses structures idéologiques anciennes sans les remplacer. Il est envahi par les leurres de l'éphémérité et les artifices de la superficialité. Rėmi Bourquin ressent ce trouble, transposé dans sa vie personnelle par la perte irrémédiable du cocon familial qui le protégeait contre le désordre et la peur. Considérant l'animal dans sa cage, dans une pièce close mais recevant un éclairage zénithal égal et serein. "ce n'est pas un problème de ne pas avoir à chercher sa nourriture", dit-il. Il peint alors ces animaux tranquilles, ces jardins de l'Alcazar à Séville, reposants et ordonnės, en manière d'autoportraits, afin de retrouver la sensation première d'un univers protégé. L'idée de la cage n'est pas assimilée à celle d'une prison. Les lignes qui structurent les tableaux sont symétriques et dessinées selon un axe vertical. Besoin d'ordre pour calmer l'angoisse.

 

L'animal immobile dans un espace circonscrit, "tableau vivant" dans l'éternité de son apparence, regardeur du spectateur qui le contemple, est aussi, bien évidemment. une métaphore de la peinture. Serait-ce à cause de cette angoisse secrète, recélée et révélée dans le même temps rôle de la métaphore - que la peinture de Rémi Bourquin exerce son attrait ?

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