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LES HORIZONS DE CIELS
Paris, 1995 - Philippe Carteron

 «Pour mon sentiment, l'espace ne fait qu'un depuis l'horizon jusqu'à l'intérieur de ma chambre-atelier», soulignait Henri Matisse. Rémi Bourquin pourrait faire sienne cette opinion. La série des ciels, son travail sur l'espace, qu'il nous livre ici succède fort logiquement et fort joliment à celle des «Fenêtres». Une suite d'oeuvres qui élaborait une métaphore picturale en identifiant le cadre d'une fenêtre au châssis de bois d'une toile. Pierre Bonnard, Henri Matisse encore et d'autres usèrent également de cette ellipse souveraine ouvrant enfin la peinture au Monde. Par la primauté des masses célestes dans ses derniers travaux Rémi Bourquin décline les instants, les moments pris sur le vif qu'il note prenant soin de ne pas s'éloigner d'une facture classique. Les coups de pinceau presque imperceptibles témoignent de la lutte sourde qui s'est déroulée dans le champ clos du tableau. Pas de titre, mais une simple date et une heure (de son achèvement) se cachent à l'arrière de la toile.

Rémi Bourquin peint en salve, cherche dans la prolixité une vérité, sa vérité d'artiste. En regardant le ciel le peintre contemple l'infini, les abimes et un certain vertige capte notre regard. Des nuages, des trainées, mais pas de trouées. Une lumière baigne l'ensemble, mais le soleil se devine plus qu'il ne se révèle. Mais lentement Rémi Bourquin instille un sentiment de doute, d'angoisse, sorte de garde-fou à toutes les dérives esthétisantes. Cet intangible nous touche et la masse illimitée nous trouble. C'est le territoire absolu de l'expérience, de la quête spirituelle qui est livré dans ces visions qui prennent de la hauteur. Rémi Bourquin accentue l'émotion avec une autre série de toiles où des images de plages et de rivages se succèdent. Là le ciel se confond à l'océan. L'horizon disparaît dans le lointain. Le travail de la lumière et de la couleur devient à la fois dense et intense. Des reliefs incongrus trouvent un havre sur le sable et ajoutent par leur présence un élément supplémentaire à l'immensité du paysage. Les espaces nous submergent comme ces vagues que l'on devine au loin et qui ne sauraient tarder à déferler.

«Ces toiles furent peintes de mémoire. Je voulais restituer les sensations que j'avais éprouvées à la vue des grandes plages du Cotentin». Ce sont les sentiments d'étouffement qui le noient, le vide qui le foudroie et ce silence qui devient si bruyant. Rémi Bourquin ne cesse d'exorciser ces carcans qui loin de le réduire et le paralyser, l'animent, motivent son inspiration. Le peintre nous conte la «déréliction» et l'homme qui la génère, s'y plie puis s'en évade pour enfin vivre. On se souvient soudain du chef d'œuvre romantique de Caspar David Friedrich «Voyageur contemplant une mer de nuages» où là encore la solitude de l'être devant l'immensité de la nature est stigmatisée en une seule et forte image. Et reviennent en mémoire quelques phrases glanées chez R.M. Rilke dans Worpswede: «le paysage est pour nous chose inconnue, et l'on est terriblement seul parmi des arbres qui fleur sent et ruisseaux qui coulent. Seul avec un mort, on est loin d'être aussi désemparé que seul avec des arbres». Alors qu'exprimer devant un ciel ? Alors que dire devant une mer ? Se taire, se souvenir ou s'ébrouer pour s'évader. Curieusement en un an d'atelier Rémi Bourquin a travaillé à nouveau sur tous les sujets qui avaient émaillé sa jeune carrière, reprenant point par point les paysages et ces étonnants animaux en cage. Aujourd'hui Rémi Bourquin met en ordre les choses vues, senties, aimées et accumulées. L'artiste s'accorde dans ses relectures un espace de réflexion supplémentaire avant d'entreprendre une autre collecte d'émotions et d'œuvres à faire naitre. Mais les toiles qu'il livre à notre vision ne se répètent jamais et apportent d'autres questionnements sur cette réalité que le peintre a en charge. Il traque encore et toujours ce qu'il nomme Vérité avec les armes dont il dispose. Chaque tableau devient un choix, une raison, une bataille à livrer et à gagner. Un imaginaire à construire. Une mémoire à sauvegarder. Des souvenirs à exorciser.

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